Chemins en déshérence

Itinéraire d'un homme qui voudrait être féministe

Pourquoi j'ai créé ce blog

Publié le 17 Novembre 2014 par SPQR in Métablog: pourquoi - comment - etc

(Cet article est parcellaire : certaines de ses affirmations peuvent paraître extrêmement dogmatiques. En effet, je ne peux les développer et tenter de m’en expliquer, par manque de place. J’espère cependant pouvoir revenir sur certaines d’entre elles dans de prochains articles. Merci de votre compréhension)

 

 

Qu’est-ce que le féminisme ?

 

Le point de vue le plus simple consisterait à dire qu’il s’agit de la recherche de l’égalité entre hommes et femmes. C’est vrai.

Cependant, l’égalité entre hommes et femmes est le but. Or parler de féminisme suppose aussi de parler des moyens pour y arriver. Ces moyens sont très divers : législation, militantisme, statistiques, études sur le sujet… Bien entendu, ces moyens sont liés(1) et ne sont pas à mettre sur le même plan.

 

En tout cas, il me semble bien qu’un des principaux apports des réflexions féministes a été de décrire l’existence d’un système patriarcal(2). Entre autres, je remarque que ce qu’on appelle féminisme peut être étendu à la défense d’autres minorités que les femmes(3), comme les homosexuels et les transsexuels : le terme est donc assez vaste (et je peux me tromper en réunissant ces luttes contre les discriminations sous une seule et même bannière, mais il me semble qu’elles ont bien partie liée).

Ce système patriarcal s’illustre en particulier par la création de deux genres, « l’homme » et « la femme ». Ces deux genres représentent des poids identitaires intéressants : ils sont des poids au sens où ils s’imposent à chacun, et ce, dès la naissance (voire dès avant la naissance, avec l’échographie, car la perception, et, en conséquence, les anticipations des parents évoluent dès qu’ils connaissent le sexe de l’enfant). Or, par-là même, ils entourent l’individu de tout un ensemble de stéréotypes et de codes à suivre. Le fait de suivre ou de ne pas suivre ces codes, et les réactions sociales qui s’ensuivent, risquent toujours de s’avérer un poids pour l’individu. En même temps, ils représentent aussi une identité : le genre participe à la construction de chacun, que ce soit dans ses réflexes ou son attitude sociale.

Or cela signifie que notre perception du monde est fortement influencée par notre genre. Autrement dit, un homme ne voit littéralement pas le monde comme une femme le voit. Un exemple simple : la perception de la rue. Un homme peut parfaitement vivre une vie entière sans jamais être témoin de harcèlement de rue, et donc considérer que c’est un endroit sûr (dans ce contexte, bien entendu. Il peut parfaitement la considérer comme peu sûre pour d’autres raisons – rationnelles ou non, fondées ou non).

C’est pour cette raison que la place de l’homme dans le féminisme est ambiguë : peut-il être autre chose qu’un dominant, qu’un participant d’un système patriarcal oppresseur pour les femmes(4)? Peut-il être autre chose que sexiste, même s’il ne s’en aperçoit pas (et sans que cela soit véritablement sa faute, puisqu’il est intrinsèquement un produit du système patriarcal – même s’il n’est pas que ça) ?

 

 

 

Quelle est la légitimité d’un homme pour parler de féminisme ?

 

Le propre de la lutte féministe est de passer par l’émancipation des femmes. Une des peurs qui a été soulevée au cours des années a été la réappropriation de la lutte par des figures masculines, qui recentreraient le débat autour d’elles. Dans une simple réunion traitant de féminisme, par des gens au fait des problèmes posés par un système de genre, les vieux réflexes sexistes peuvent revenir extrêmement vite, sans que personne ne le remarque. Donc, pour éviter cela, la présence d’hommes a pu être considérée comme néfaste, quand bien même la volonté de faire avancer l’égalité hommes-femmes était présente.

Cela, couplé avec le fait qu’un homme n’a pas l’expérience de la femme (à savoir être dominée dans un système patriarcal), conduit à se méfier de lui, dans une perspective féministe. De fait, il a des privilèges, il n’est pas forcément conscient de toutes les problématiques, car elles ne sont pas douloureuses pour lui : peut-il avoir une approche non biaisée ? Ne risque-t-il pas d’être paternaliste, renvoyant les femmes à une condition inférieure, en leur expliquant ce qui est mieux pour elles, alors même qu’il entend lutter contre ça ?

A partir de ces réticences, il est possible de comprendre l’absence de légitimité des hommes aux yeux de certaines féministes. De fait, pour permettre l’émergence d’une pensée féministe, d’une analyse des rapports de genre du point de vue des femmes, une phase de silence masculin doit sans doute être observée (dans certains cas, pour certains groupes, à certains moments. Il ne s’agit pas de croire qu’il y aurait une méthode pour créer une parole féministe).

 

 

Cela pose tout de même un problème à l’homme de bonne volonté, qui croit sincèrement que le féminisme est une bonne chose. Certes, il est toujours suspect : le fait de croire au féminisme signifie-t-il être féministe, que ce soit en théorie ou en pratique ? Ces doutes sont valables. Cela doit-il empêcher pour autant cet homme de bonne volonté de s’engager, de s’interroger, d’analyser ? Je ne le crois pas.

Il lui faut avant tout reconnaître qu’il ne peut pas parler à la place des femmes. Mais il peut parler en tant qu’homme. Il peut avoir une analyse originale des rapports de genre, en se plaçant précisément du point de vue du dominant.

Il peut avoir une analyse double. La première est l’analyse des rapports intra-genre : il peut analyser les rapports de genre entre hommes, la conformité aux normes de domination auxquelles ils sont soumis, etc. La deuxième est l’analyse des rapports inter-genre : il peut tenter d’analyser les rapports hommes-femmes, mais de son point de vue de dominant (ce qui ne signifie pas qu’il légitime ce point de vue, mais qu’il assume le fait qu’il ne peut s’en détacher).

Cette analyse est peut-être féconde. Peut-être pas. Je n’en sais rien. Mais c’est précisément en tant qu’homme, hétérosexuel, blanc, bref, en tant que représentant lambda d’un système de domination, que je veux m’y attaquer.

 

C’est peut-être une erreur. Je ne prétends pas être capable de mener cela à bien. Je ne prétends pas pouvoir apporter quelque chose de neuf ou d’intéressant. Mais c’est un essai.

Je considère qu’il s’agit d’un « itinéraire » : ce sera sans doute un processus d’essais et d’erreurs. Mes convictions, mes réflexions pourront évoluer. Il s’agit ici de les mettre au propre, de suivre leur progression, peut-être leur arrêt, peut-être leur développement.

Peut-être que cela intéressera quelqu’un, ou que cela rencontrera les interrogations de quelqu’un, je n’en sais rien. Mais je ne peux que l’espérer.

 

 

 

(1) Que le militantisme et la législation puissent être liés, ce n’est pas une surprise (par exemple, sur le droit à l’avortement). La question des relations entre études, théorie et militantisme est déjà plus délicate à traiter.

(2) Ou viriarcal. Les deux termes ne sont pas identiques, et viriarcal semble être plus récent (et plus sujet à caution). Ici et pour le moment, nous les utiliserons de manière indistincte.

(3) Les femmes sont une minorité, non dans un sens positif (puisqu’elles représentaient 52,21% de la population au 1er janvier 2014, d’après l’Insee), mais dans un sens normatif.

(4) Rappelons que parler de système « oppresseur » ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’avancées. Les femmes sont opprimées, de manière plus douce que par le passé, certes, mais dans le sens où le système est pensé sans elles, et ne les comprend absolument pas comme référence. Les hommes restent la norme par rapport à laquelle les femmes sont définies, tant dans leur être que dans leur comportement. Les normes peuvent paraître affaiblies, mais elles existent toujours.

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